Depuis quelques semaines je m’interroge. J’ai l’impression de vivre une réalité digne de science fiction ou d’un roman d’anticipation dystopique. Nous avons, tous, plus ou moins accepté de mettre de côté nos libertés individuelles au nom du bien commun. Jusque là, ça se tient et je crois fondamentalement à mon devoir de citoyen. Oui, mais pour combien de temps ? Combien de temps allons- nous accepter, nous adapter avant que cette nouvelle norme ne nous fasse plus de mal que de bien ?
Loin de moi l’idée de justifier un discours anti-masques. Mon sujet est de comprendre comme cette nouvelle norme impacte notre rapport sensible et emotionnel vis à vis de notre humanité, notre caractère « humain ». Qu’est ce qui nous définit en tant qu’espèce au quotidien ? Depuis le confinement cette réflexion m’a frappé, alors que je ne l’avais jamais vu sous cet angle, car nous avons été privés de choses essentielles et nous le sommes encore. J’avais bien sûr parler du toucher. J’avais compris combien il était essentiel. Aussi la première fois que j’ai touché à nouveau certaines personnes cela s’est fait dans une sorte de pudeur et de timidité, validant bien avec l’autre son consentement. Toutes ces restrictions auxquelles nous avons fait et faisons encore face sont pour moi si...contre-nature. Impossible de ne pas se toucher pour partager un profond chagrin !
Masqués, il est bien facile de bailler discrètement. Et si notre regard peut faire passer de nombreuses expressions, beaucoup d’autres restent muettes. Et pourtant, ces sourires, je le sais, nous manquent. Mon travail de maquilleuse a perdu beaucoup de son sens, puisqu’on ne peut quasiment plus rien faire. Observer un visage dans son entièreté, dans l’espace public, celui qui ne nous est pas proche mais que l’on apprend à connaître est devenu si rare. L’espace social s’est réduit car la reconnaissance de l’autre est devenue partielle. Même, notre appréhension de nous-même l’est devenuégalement car nous nous présentons au monde qu’à moitié. Quid de notre rapport au corps, à notre identité corporelle ?
Cela m’inquiète. Car se reconnaître c’est aussi pouvoir se défendre. Je m’inquiète de la montée de l’anxiété dans la population, Je m’inquiète des femmes harcelées qui ne pourront pas reconnaître leur agresseur, je m’inquiète d’une bienveillance feutrée dans un masque, de la fatigue de ce mutisme : avez-vous remarqué à quel point le métro est beaucoup plus silencieux ? Nous faisons moins d’effort pour nous parler car il faut davantage tendre l’oreille.
Je me languis des sourires généreux reçus ou donnés, témoins de la volonté de vivre ensemble.
Je me languis de respirer à plein poumon sans entraves et sans culpabilité tout en comprenant un peu mieux aussi le sentiment de peur dans la rue de personnes racisées qui n’ont rien à se reprocher.
J’apprends, j’observe mais je n’oublie pas que ces mesures ont un coût social évident et qu’elles ne peuvent être tolérées qu’un temps.